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Une syndicaliste CFDT démise de ses fonctions aprÚs avoir signalé des comportements sexistes
Une reprĂ©sentante syndicale Ă la mairie dâOrlĂ©ans a dĂ©posĂ© plainte le 22 mars contre deux camarades pour « harcĂšlement moral » et « outrage sexiste et sexuel ». AprĂšs des signalements, elle et un collĂšgue avaient Ă©tĂ© exclus de leur section. InterrogĂ©e par Mediapart, la confĂ©dĂ©ration vient de lancer une enquĂȘte.
Sophie Boutboul,11 avril 2024 Ă 12h10
Quand le 8 mars, Karen a vu apparaĂźtre sur lâintranet commun de sa section CFDT un tract pour une « mobilisation contre les violences envers les femmes », elle est restĂ©e bouche bĂ©e : « Je lâai vĂ©cu comme un pied de nez, comme si ce que je dĂ©nonçais nâexistait pas. »
Quelques mois plus tĂŽt, en juin 2023, cette travailleuse sociale de 44 ans accepte un poste de permanente syndicale CFDT Ă la mairie dâOrlĂ©ans. TrĂšs vite, elle note une ambiance qui lui dĂ©plaĂźt, sans rĂ©ussir Ă mettre de mots dessus ; depuis, la syndicaliste les a trouvĂ©s.
Le 22 mars, elle a portĂ© plainte pour « outrage sexiste et sexuel par une personne abusant de lâautoritĂ© que lui confĂšre sa fonction », « propos Ă connotation sexuelle » et « harcĂšlement moral ». Elle vise deux dirigeants locaux de son syndicat : un membre permanent du bureau, Olivier, et le cosecrĂ©taire de la section CFDT mĂ©tropole, BenoĂźt.
Entre-temps, elle a Ă©tĂ© dĂ©mise de ses fonctions syndicales, le 20 fĂ©vrier, tout comme un autre militant avec qui elle travaille souvent sur des dossiers communs, Serge. Un « choc », confie-t-elle. Durant les semaines prĂ©cĂ©dentes, les deux militant·es avaient multipliĂ© les signalements contre les comportements quâils jugent sexistes, « inadaptĂ©s et dĂ©placĂ©s » des deux responsables locaux.
Plusieurs mails et des « fiches de signalement » standardisĂ©es ont Ă©tĂ© envoyĂ©s Ă la section CFDT et Ă la fĂ©dĂ©ration, ainsi quâĂ lâĂ©tage dĂ©partemental de la CFDT « Interco », qui fĂ©dĂšre les agent·es des collectivitĂ©s locales. Les signalements ont aussi Ă©tĂ© transmis Ă la mairie dâOrlĂ©ans.
Le 4 avril, Serge a lui aussi dĂ©posĂ© plainte pour « harcĂšlement moral ». « De mon expĂ©rience professionnelle, celle-ci est la pire, je nâai jamais Ă©tĂ© aussi maltraitĂ©, humiliĂ©, rabaissé », a-t-il indiquĂ© dans son signalement.
Avant que Mediapart interroge la CFDT, la confĂ©dĂ©ration nâavait pas Ă©tĂ© mise au courant de lâaffaire. BĂ©atrice Lestic, secrĂ©taire nationale du syndicat et membre du Haut Conseil Ă lâĂ©galitĂ© entre les femmes et les hommes, nous indique que la situation ne lui paraĂźt « pas normale ». « Il nâest pas question que deux personnes qui se plaignent soient exclues de la CFDT », tance-t-elle.
La charte de la CFDT contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) prĂ©conise en effet de prendre le temps dâune « enquĂȘte interne contradictoire ». « Au minimum, on suspend tout le monde, et voire mĂȘme plutĂŽt les [militants] mis en cause que les plaignantes, dĂ©taille la responsable nationale*. Des sanctions sont prises uniquement Ă lâissue dâune enquĂȘte. »*
Câest donc seulement le 5 avril, aprĂšs les demandes dâentretien de Mediapart, que le secrĂ©tariat dĂ©partemental de la CFDT, en lien avec la confĂ©dĂ©ration, a annoncĂ© Ă Karen quâune « expertise interne » Ă©tait lancĂ©e. Le temps de lâenquĂȘte, elle est suspendue, tout comme son camarade Serge et les deux responsables syndicaux mis en cause.
BĂ©atrice Lestic prĂ©cise quâil est possible que la dĂ©cision dâĂ©viction de Karen et de Serge soit « annulĂ©e », en fonction des rĂ©sultats de lâenquĂȘte et des auditions, qui prendront environ « un mois et demi ».
Accusations de comportements sexistes
Dans la plainte de Karen et les signalements quâelle et Serge ont effectuĂ©s se devine une atmosphĂšre pesante, quâils imputent Ă Olivier et BenoĂźt. Ce membre permanent et ce responsable syndical semblent avoir pris en grippe le duo. Karen a dĂ©taillĂ© par Ă©crit, dans sa plainte ou dans ses divers signalements, plusieurs des Ă©pisodes sexistes quâelle dit avoir subis.
Un jour, alors quâelle mangeait un sandwich un midi dans leur bureau partagĂ©, le cosecrĂ©taire de la section lâaurait imitĂ©e « tout en faisant mine de caresser quelque chose sur la longueur », et aurait gĂ©mi tout en lui dĂ©clarant : « Karen, ne mange pas ton sandwich comme ça⊠On est collĂšgues. »
Une autre fois, alors quâelle Ă©tait au tĂ©lĂ©phone avec Serge, ce mĂȘme syndicaliste aurait placĂ© Ă hauteur de son visage « la zone de ses parties gĂ©nitales » en lui lançant : « LĂ , regarde, je me gratte la couille gauche. » Ă lâautre bout du fil, Serge a entendu ces mots, quâil a retracĂ©s dans un signalement.
InterrogĂ© par Mediapart sur ces accusations, le coresponsable BenoĂźt assure nâavoir « jamais eu ce type de propos » ni « ce type de geste ». Il dit espĂ©rer pouvoir bĂ©nĂ©ficier de la prĂ©somption dâinnocence et se tenir « à disposition en cas dâenquĂȘte judiciaire et pour lâenquĂȘte interne au syndicat ».
Karen indique aussi, sur procĂšs-verbal et dans un mail dâalerte, quâun autre permanent syndical, Olivier, a pris une photo dâelle Ă son insu, alors quâelle Ă©tait « penchĂ©e » et de dos en train de passer lâaspirateur. Quand elle lui a demandĂ© de lui montrer le clichĂ©, le responsable BenoĂźt se serait interposĂ© et lui aurait rĂ©pondu que câĂ©tait une photo de sa « calvitie » Ă lui et non pas « de ses fesses » Ă elle.
ContactĂ©, Olivier assure nâavoir « jamais pris de photo » de Karen. Il rĂ©fute Ă©galement sâĂȘtre vantĂ© dans le local CFDT dâavoir eu des relations sexuelles avec une femme quâil accompagnait dans le cadre de son mandat syndical ou dâavoir montrĂ© Ă des camarades une photo des fesses dâune agente accompagnĂ©e, comme lâont relatĂ© Karen et Serge.
Pour chacun des faits, il assure ne les avoir « jamais » commis et prĂ©cise que sâils Ă©taient constituĂ©s, il « comprendrai[t] » que cela puisse « choquer et heurter la sensibilitĂ© de collĂšgues ». Lui aussi dit son souhait de voir « prĂ©servĂ©e la prĂ©somption dâinnocence » et assure quâil portera Ă la connaissance de la CFDT et de la justice si nĂ©cessaire « tous les Ă©lĂ©ments permettant Ă la vĂ©ritĂ© dâĂȘtre faite ».
Violences conjugales
Karen a encore Ă©tĂ© abasourdie quand le coresponsable BenoĂźt lui a parlĂ© dâune rumeur de relation extraconjugale entre elle et Serge. Dans sa plainte, elle explique : « Il mâa informĂ©e que jâĂ©tais la risĂ©e de toute la mairie, il mâa dit clairement que quelquâun pourrait trĂšs bien appeler mon conjoint. » Une « menace implicite », selon elle. « Jâai voulu les en informer avec une volontĂ© de bienveillance », corrige le responsable syndical.
Karen raconte Ă Mediapart quâen janvier, alarmĂ©e par le comportement dâOlivier, elle avait informĂ© des militant·es CFDT quâil fallait « alerter lâadministration ». « Jâai dit que son rapport aux femmes Ă©tait compliqué », prĂ©cise-t-elle. Quelques jours plus tard, le 18 janvier, Olivier lâaurait alors interpellĂ©e violemment lors dâune rĂ©union. Lâhomme affirme nâavoir « jamais hurlé » mais confirme avoir « fait part Ă [Karen] quâelle colportait des rumeurs [âŠ] » et quâil souhaitait « que cela puisse cesser ».
Dâautres « rumeurs » circulent autour dâOlivier depuis plusieurs mois, concernant en particulier des faits, restĂ©s imprĂ©cis, de violences conjugales. Et il sâagit plus que de cela. Le parquet dâOrlĂ©ans a confirmĂ© Ă Mediapart quâen mars 2022, Olivier a fait lâobjet dâune condamnation de six mois de prison avec sursis pour violences conjugales. La condamnation est dĂ©finitive.
« Je suis en rÚgle avec la justice et avec mes obligations de fonctionnaire auprÚs de mon administration », estime le responsable. Il précise que « la section avait vérifié auprÚs du syndicat départemental la validité de [sa] candidature sur les listes CFDT aux élections professionnelles de décembre 2022 ».
Aux yeux de son camarade et responsable BenoĂźt, la situation dâOlivier est « dâordre personnel ». Il prĂ©cise : « Dans le cadre de nos mandats syndicaux, un cadre professionnel, nous ne sommes pas amenĂ©s Ă suivre des agents pour des violences intrafamiliales. »
La secrĂ©taire nationale de la CFDT, BĂ©atrice Lestic, est plus sĂ©vĂšre, puisquâelle affirme Ă Mediapart quâau nom du « devoir dâexemplarité », une condamnation « nâest pas compatible avec un mandat CFDT ».
« Divergences politiques »
Les alertes Ă©mises Ă lâoral et Ă lâĂ©crit par Karen et Serge semblent les avoir isolĂ©s au sein de la section syndicale. Selon la militante, en janvier dĂ©jĂ , un des responsables syndicaux lui avait fait grief de former « un binĂŽme malsain » avec Serge, lui reprochant de ne pas vouloir travailler avec Olivier. Dans sa plainte, Karen prĂ©cise avoir « simplement demandé » une intervention Ă la suite de ses « comportements inadaptĂ©s », puisquâelle souhaitait « travailler dans des conditions sereines ».
Mais la situation débouchera bel et bien sur une réunion exceptionnelle du bureau syndical, le 20 février. Décision est prise de les démettre de leurs mandats à la CFDT, « au regard de divergences politiques irréconciliables et de comportements inacceptables ».
« Selon moi, le bureau a dĂ©cidĂ© de mettre fin Ă leur dĂ©lĂ©gation syndicale pour des manquements professionnels graves », indique BenoĂźt. Karen reste interloquĂ©e : « Je ne parle jamais de politique, et sâils appellent âdivergence politiqueâ le fait de demander le respect les femmes, alors oui, nous en avonsâŠÂ »
Fin mars, on annonce Ă Karen et Serge que la section syndicale a dĂ©cidĂ© de surcroĂźt de leur retirer leur carte du syndicat. DĂ©cision incomprĂ©hensible pour Karen. « Ce qui mâinquiĂšte le plus, câest quâune femme en difficultĂ© dans la collectivitĂ© aille consulter un de ses reprĂ©sentants syndicaux, alors quâeux-mĂȘmes nâont pas eu de comportements adaptĂ©s », dĂ©plore-t-elle. Au cours de son rĂ©cit, elle laisse Ă©chapper quelques pleurs : « Le plus violent est de voir que ma parole nâa eu aucun poids, je me dis que je nâaurais rien dĂ» dire. Je me suis sentie discrĂ©ditĂ©e. »
MĂȘme sans mandat CFDT, Karen a continuĂ© de siĂ©ger dans certaines instances du personnel Ă la mairie, jusquâĂ sa suspension Ă lâinitiative de la confĂ©dĂ©ration, la premiĂšre semaine dâavril. Croiser ses ex-camarades Ă©tait devenu une crainte « pesante ». « à la mairie, certains mâavaient conseillĂ© de me mettre en arrĂȘt. Mais ce nâest pas Ă moi de partir, comme si jâĂ©tais la fautive : jâaime mon travail et des agents ont besoin dâaide », clame-t-elle.
Une autre membre de la section, LĂ©a, adhĂ©rente Ă la CFDT depuis 1998, est toujours sous le choc de lâĂ©viction de ses camarades en fĂ©vrier : « Ăa me fait mal au cĆur, jâai fait le choix dâadhĂ©rer Ă une organisation syndicale dans laquelle on parle dâĂ©galitĂ©, de respect⊠Je nâai pas envie dâĂȘtre associĂ©e Ă des gens qui en excluent dâautres pour avoir dĂ©noncĂ© des agissements sexistes. »
La secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale de la section dĂ©partementale CFDT Interco sâest entretenue Ă plusieurs reprises avec Karen et Serge, durant notamment au moins une rencontre en face Ă face. Devant lâampleur des faits violents dĂ©noncĂ©s, elle nâa pas pris parti, se contentant de proposer une mĂ©diation aux deux parties. MĂ©diation qui aurait Ă©tĂ© refusĂ©e par le cosecrĂ©taire syndical BenoĂźt, selon le rĂ©cit de Karen. « Je laisse faire les responsables Ă la manĆuvre, dĂ©clare aujourdâhui la secrĂ©taire dĂ©partementale*. JâespĂšre que la procĂ©dure va permettre de faire ressortir la vĂ©ritĂ©. »*
De son cĂŽtĂ©, la mairie dâOrlĂ©ans nâa pas souhaitĂ© sâexprimer sur la teneur des nombreux signalements quâelle a reçus, indiquant seulement : « La procĂ©dure en cours ne nous permet pas de nous exprimer. »
Les militants mis en cause attaquent aussi
Les tensions ne sâarrĂȘtent pas lĂ . Le 9 fĂ©vrier, Olivier et BenoĂźt ont Ă leur tour rempli une fiche de signalement, visant Serge et Karen pour « acte de violence » et « harcĂšlement moral ». Les deux hommes dĂ©noncent notamment des « propos violents et agressifs » de Serge, profĂ©rĂ©s « au quotidien envers ses collĂšgues », comme « Je vais les dĂ©foncer », et un « Va chier » Ă lâĂ©gard de BenoĂźt.
Ils agrĂšgent Ă©galement des comportements ayant eu lieu dans un cadre non syndical comme « une menace de âvenir avec une armeâ pour nĂ©gocier avec lâadministration ».
Si Serge reconnaĂźt le « Va chier » â « Face Ă la bĂȘtise, on peut perdre son calmeâŠÂ », commente-t-il auprĂšs de Mediapart â, il rĂ©fute tout le reste*. « Et puis quoi encore ? Venir avec une arme ? Ils savent juste que je collectionne des armes de catĂ©gorie D* [dâacquisition et en dĂ©tention libres â ndlr] car jâen parle librement. Et si jâĂ©tais quelquâun de si dangereux, pourquoi mâont-ils laissĂ© travailler auprĂšs de Karen sans inquiĂ©tude pour elle ? », sâinterroge-t-il.
Le signalement des deux militants vise aussi Karen. Ils y Ă©voquent des « propos diffamatoires Ă lâencontre dâ[Olivier] sur sa vie personnelle » et lui reprochent dâ« encourager le comportement agressif et violent de Serge ». Les deux hommes concluent quâils ont « de fortes inquiĂ©tudes » pour leur sĂ©curitĂ© au travail et Ă leur domicile.
De son cĂŽtĂ©, Karen a dĂ©taillĂ© dans sa plainte la « dĂ©gradation » de son Ă©tat de santĂ© face Ă la situation quâelle dit avoir subie. « Je ne dors plus que trois, quatre heures par nuit, je ne mange presque plus. » Elle tĂ©moigne aussi de « crises dâangoisse » la nuit : « Je panique, je suis insĂ©curisĂ©e par la situation⊠[âŠ] Je me dis que câest un cauchemar, que ça va sâarrĂȘter. »
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