AgĂ©s de 16 ans Ă  19 ans, trois hommes et une femme, fascinĂ©s par la violence djihadiste et d’ultradroite, Ă©changeaient sur Internet et projetaient des attentats pour prendre leur « revanche sur l’humanitĂ© ». Le Parquet national antiterroriste demande qu’ils soient jugĂ©s pour « association de malfaiteurs terroriste ».

Ce sont des jeunes Ă  la dĂ©rive. Ils ont Ă©tĂ© victimes de harcĂšlement scolaire, d’agressions sexuelles ou de leur propre dĂ©lire de persĂ©cution. Ils se sont isolĂ©s, rĂ©fugiĂ©s dans leur chambre et se sont branchĂ©s sur Internet. Ils se sont fait des « amis » en ligne, leurs seuls amis, sur des forums consacrĂ©s aux tueries scolaires, Ă  l’idĂ©ologie nazie ou Ă  la propagande djihadiste. Ils ont partagĂ© des vidĂ©os de dĂ©capitations, des photos de tueries de masse qui ont rĂ©sonnĂ© avec leur fascination pour la mort et la violence. Ils veulent « couper des tĂȘtes », « massacrer des gens ». Ils se disent racistes ou djihadistes, ils partagent une haine inextinguible contre l’humanitĂ©, une colĂšre que rien n’étanche, contre leurs harceleurs, leurs agresseurs, les musulmans, les juifs, les Noirs, les femmes, les autres.

Ils ont discutĂ© entre eux de projets d’attentat. Ils ont fantasmĂ© de tuer des « mĂ©crĂ©ants » ou des « NĂšgres ». Ils ont fabriquĂ© des explosifs et tournĂ© des vidĂ©os de revendication dans l’espoir que leur rage Ă©clate aux yeux du monde, qu’on parle d’eux, qu’on se souvienne de leur « Ɠuvre » aprĂšs leur mort. Ils ont entre 16 et 19 ans. Ce sont encore des enfants. Des enfants malheureux et dangereux.

Cette enquĂȘte de la justice antiterroriste avait commencĂ© comme tant d’autres, par un renseignement faisant Ă©tat d’un projet d’attentat imminent. Mais lorsqu’ils ont fait irruption dans la chambre de Louna (tous les prĂ©noms ont Ă©tĂ© modifiĂ©s), qui venait d’avoir 18 ans, les policiers ont vite compris que le logiciel antiterroriste classique ne suffirait pas Ă  saisir toutes les nuances de cette affaire. Car si Louna est fascinĂ©e par l’organisation Etat islamique (EI), elle nourrit aussi un vif intĂ©rĂȘt pour le nazisme. Sur Internet, elle discute d’ailleurs de ses projets d’attentat avec trois garçons qui ne partagent pas tous les mĂȘmes convictions : l’un, brillant Ă©tudiant franco-japonais de 17 ans, rĂȘve de partir en Syrie, les deux autres, ĂągĂ©s de 16 et 19 ans, sont fascinĂ©s par Adolf Hitler et projettent une tuerie dans un lycĂ©e ou une mosquĂ©e.

Ce dossier, point de rencontre entre des idĂ©ologies qui n’ont a priori rien Ă  voir entre elles, a longtemps embarrassĂ© la justice antiterroriste. Comment qualifier le mobile de suspects qui s’associent dans leurs projets mais que tout semble opposer sur le plan des idĂ©es ? Parce qu’elle dĂ©voile l’intime derriĂšre le politique, la pulsion sous le discours, cette enquĂȘte est une invitation Ă  penser la façon dont les idĂ©ologies radicales captent les dĂ©sordres psychiques de jeunes gens en perdition. Au terme de deux ans et demi d’instruction, le Parquet national antiterroriste a demandĂ©, dans un rĂ©quisitoire dĂ©finitif datĂ© du 2 octobre et dont Le Monde a pris connaissance, que ces quatre adolescents soient jugĂ©s pour « association de malfaiteurs terroriste ».

« Votre sang sur mon visage »

Le 4 avril 2021, lorsque les enquĂȘteurs de la direction gĂ©nĂ©rale de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure (DGSI), alertĂ©s par un service de renseignement Ă©tranger d’un projet d’attentat djihadiste contre une Ă©glise, pĂ©nĂštrent au domicile familial de Louna, Ă  BĂ©ziers (HĂ©rault), ils dĂ©couvrent un appartement insalubre et jonchĂ© de dĂ©tritus. Dans la chambre de la jeune femme, les policiers tombent sur un petit laboratoire de chimie avec de nombreux produits servant Ă  fabriquer des explosifs. Un couteau est posĂ© sur la table de nuit, Ă  cĂŽtĂ© d’une photo de la tĂȘte dĂ©capitĂ©e du professeur d’histoire-gĂ©ographie Samuel Paty imprimĂ©e sur papier glacĂ©. Dans la piĂšce, ils trouvent deux photos de la tuerie de Columbine (Colorado), qui avait fait treize morts, en 1999, dans un lycĂ©e amĂ©ricain, et des photos imprimĂ©es de djihadistes.

Ils mettent surtout la main sur un carnet Ă  spirales de 57 pages entiĂšrement noircies, un long cauchemar manuscrit qui commence par cette phrase : « Moi j’aurais votre sang sur mon visage. » Le cahier contient des recettes d’explosifs, les dĂ©tails d’un projet d’attentat accompagnĂ© du schĂ©ma d’une Ă©glise de BĂ©ziers mentionnant les heures d’affluence, un plan de son ancien lycĂ©e, un autre de son immeuble ainsi qu’une liste d’institutions juives. Louna Ă©crit : « RĂȘve d’une terre de djihad oĂč je pourrais massacrer les gens. »

Au fil des pages, la jeune femme consigne les moindres dĂ©tails de ses projets mortifĂšres et sa fascination pour la « souffrance » d’autrui, un mot qui hante sa prose et semble faire Ă©cho Ă  son Ă©tat Ă©motionnel. « J’ai appris Ă  dĂ©capiter quelqu’un, Ă©crit-elle. Il faut vous mettre par terre, allongĂ© sur le ventre, moi je vous tiens par les cheveux et je vous entaille la gorge jusqu’à la dĂ©tacher du corps, je fais ça lentement pour la souffrance intense douloureuse et longue (
) Je veux tuer des gens pour le plaisir seulement (
) Waa j’ai tellement envie de tuer, c’est vraiment un truc de malade, il faut que je tue putain de merde. »

La jeune fille s’est noyĂ©e dans un mal-ĂȘtre insondable : « Ce sentiment quand littĂ©ralement rien ne te rend heureuse (
) Je dĂ©teste juste tout et tout le monde, je ne sais mĂȘme pas si j’ai besoin d’aide ou si je devrais juste faire ce que j’ai en tĂȘte, la vie humaine ne compte pour putain de rien. » Son dĂ©sir de « vengeance » est total, absolu, sans objet dĂ©fini : elle abhorre ses voisins, les juifs, les homosexuels, les Noirs, les ArmĂ©niens, les handicapĂ©s, les chrĂ©tiens, les Indiens, n’exclut pas de tuer des musulmans et se prend Ă  rĂȘver d’un paradis oĂč n’existeraient plus que des « peaux blanches » : « Je ne peux pas supporter ces NĂšgres. »

« DĂ©capitations, c’est mes prĂ©fĂ©rĂ©es »

Cette haine intĂ©grale et sa passion obsessionnelle pour les dĂ©capitations l’ont naturellement conduite Ă  s’intĂ©resser Ă  l’EI et sa propagande ultraviolente. Dans son tĂ©lĂ©phone ont Ă©tĂ© retrouvĂ©es 137 vidĂ©os djihadistes, parmi les plus abjectes, comme celle de l’exĂ©cution d’un pilote jordanien qui avait Ă©tĂ© brĂ»lĂ© vif dans une cage par le groupe terroriste, ou ce tutoriel tournĂ© par un djihadiste français en Syrie, Youcef Diabi, prĂ©sentant sur un prisonnier attachĂ© vivant les diffĂ©rentes façons de tuer un homme avec un couteau.

Sur Telegram, Louna a fait la connaissance d’un autre jeune radicalisĂ©, Takeshi, un Ă©tudiant franco-japonais de 17 ans. Elle cherche Ă  se procurer un fusil d’assaut, lui aimerait se marier avec elle avant de rejoindre la Syrie. Le profil des deux adolescents est pourtant diamĂ©tralement opposĂ© : Takeshi vit dans un quartier chic de Paris, Louna dans un taudis de BĂ©ziers ; surdouĂ©, il a sautĂ© deux classes et est inscrit en classe prĂ©paratoire dans un des meilleurs Ă©tablissements de la capitale, elle est dĂ©scolarisĂ©e depuis deux ans. Mais lui aussi est solitaire, introverti et a Ă©tĂ© victime de harcĂšlement scolaire.

Pour Ă©viter de sombrer dans la dĂ©pression, Takeshi s’est converti Ă  l’islam Ă  14 ans. Il rĂȘve dĂ©sormais de rejoindre un groupe djihadiste fondĂ© dans la rĂ©gion d’Idlib, en Syrie, par un Niçois d’origine sĂ©nĂ©galaise, Omar Omsen, pour y mourir au combat « d’une façon compatible » avec sa religion. Louna, elle, aimerait tuer et mourir en France.

« Tu penses qu’une femme peut le faire, attaquer la France ?, lui demande-t-elle.

– Si pour toi c’est tuer des civils, ça sert Ă  rien et je jure par Allah le trĂšs haut que c’est un Ă©norme pĂ©chĂ©, tente de la dissuader Takeshi, qui prĂ©fĂ©rerait l’épouser.

– Toi tu serais capable de tuer quelqu’un ?

– Bien sĂ»r, mais ça dĂ©pend de qui, si c’est un soldat d’Assad je le bute sans problĂšme.

– Par dĂ©capitation. DĂ©capitations, c’est mes prĂ©fĂ©rĂ©es, jubile Louna.

– Vazy toi t’es un peu spĂ©ciale, s’étonne tout de mĂȘme le jeune garçon. Souvent les filles prĂ©fĂšrent ce qui est plus doux


– Non c’est juste que la personne doit tellement souffrir. Et brĂ»lĂ© vif aussi, j’ai vu la vidĂ©o.

– Moi j’ai du mal Ă  regarder les vidĂ©os comme ça, je prĂ©fĂšre Al-Qaida. C’est plus beau quand mĂȘme avec les avions », nuance l’adolescent.

« Ai-je été violée ? »

MalgrĂ© sa promesse de violence, le djihad ne semble pas en mesure d’éponger toute la colĂšre qui a envahi Louna. Son dĂ©sordre intĂ©rieur la fait aussi tanguer vers une autre idĂ©ologie radicale : le nazisme. Dans son carnet, elle a dessinĂ© un djihadiste et un soldat nazi Ă  cĂŽtĂ© d’une tĂȘte dĂ©capitĂ©e, ou encore une croix gammĂ©e avec ces inscriptions « La France aux Français », « Antifa = une balle » et « NĂšgres dehors ». Elle s’essaye volontiers Ă  la langue allemande (« Arbeit macht frei »), allant jusqu’à traduire son goĂ»t immodĂ©rĂ© pour la dĂ©capitation dans la langue de Goethe (« Enthauptung »). « Elle oscillait entre une fascination pour l’EI et pour le nazisme », rĂ©sument, quelque peu dĂ©boussolĂ©s, les enquĂȘteurs.

ElevĂ©e avec ses trois sƓurs et son petit frĂšre par une mĂšre d’origine marocaine athĂ©e et sans emploi, divorcĂ©e d’un pĂšre alcoolique et trĂšs malade, Louna a grandi dans une famille dĂ©crite comme d’une « trĂšs grande prĂ©caritĂ© sociale et intellectuelle ». Comme son petit frĂšre et une de ses sƓurs, elle a Ă©tĂ© placĂ©e dans un foyer, dont elle a fuguĂ©. DĂ©scolarisĂ©e depuis deux ans, « suicidaire » et « solitaire », elle passe ses journĂ©es dans sa chambre, dont elle emporte la poignĂ©e de la porte quand elle sort, si bien qu’aucun de ses proches n’avait rĂ©alisĂ© que la piĂšce s’était transformĂ©e en chapelle consacrĂ©e au crime.

  • Camus@sh.itjust.worksOP
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    1 year ago

    Sa garde Ă  vue va apporter quelques bribes d’éclaircissement sur les raisons de sa dĂ©rive. Elle Ă©voque notamment des agressions sexuelles commises deux ans plus tĂŽt par un voisin de palier, Ă  la suite desquels elle aurait commencĂ© Ă  regarder des vidĂ©os gore. Un Ă©pisode qui fait Ă©cho au plan de son immeuble retrouvĂ© griffonnĂ© dans son cahier et au fait qu’elle avait Ă©voquĂ© des « voisins » comme cibles potentielles de son passage Ă  l’acte. Parmi les documents qu’elle a consultĂ©s sur Internet, l’un s’intitule « Ai-je Ă©tĂ© violĂ©e ? ». Deux autres de ses lectures ressemblent Ă  des appels Ă  l’aide : « Aider un enfant ou un adolescent qui s’automutile » et « Les auteurs de fusillades dans les Ă©coles : les signes d’alerte ».

    Musulmane « non pratiquante », prĂ©cise-t-elle aux enquĂȘteurs, Louna dit s’ĂȘtre rapprochĂ©e du djihadisme et du nazisme afin de satisfaire ses obsessions macabres dans une sorte de contre-violence cathartique : « Je me suis intĂ©ressĂ©e Ă  ces deux idĂ©ologies uniquement pour justifier ma fascination pour la mort violente. Je ne croyais vraiment ni en l’une ni en l’autre. » Au fil de son errance, elle s’est d’ailleurs inscrite Ă  des groupes de discussions qui n’avaient plus grand-chose de politique : il y Ă©tait question de tueurs en sĂ©rie et de fusillades en milieu scolaire. C’est ainsi qu’elle a fait la connaissance de deux autres acteurs de ce dossier : RaphaĂ«l et Ugo.

    Raphaël et les tueries scolaires

    C’est durant le confinement liĂ© Ă  l’épidĂ©mie de Covid-19, au printemps 2020, que les trois adolescents ont brisĂ© leur infinie solitude en discutant sur des forums avec d’autres jeunes aussi perdus qu’eux. Ils se sont rencontrĂ©s sur True Crime Community, une communautĂ© d’internautes passionnĂ©s par les grands criminels et les tueries scolaires.

    Le plus jeune du trio, RaphaĂ«l, 16 ans, habite une petite commune du Haut-Rhin. En Ă©chec scolaire, isolĂ© socialement et mal dans sa peau, il passe le plus clair de son temps Ă  jouer à des jeux de guerre enfermĂ© dans sa chambre. Sur True Crime Community, il a enfin rencontrĂ© des jeunes qui lui ressemblent et s’est dĂ©couvert une passion pour les « tueurs et les cannibales » susceptible de donner corps Ă  sa rage. Sa propre mĂšre le dĂ©crit comme une « bombe Ă  retardement », mĂȘme si elle le juge trop introverti pour violenter autrui.

    Il a racontĂ© aux enquĂȘteurs le bĂ©nĂ©fice narcissique tirĂ© de cette appĂ©tence partagĂ©e pour la violence : « C’est un chemin qui s’est ouvert Ă  moi une fois que j’ai frĂ©quentĂ© ce groupe (
) J’aime cette violence », a-t-il dĂ©clarĂ©, expliquant qu’il se sentait « comme un dieu » lorsqu’il gravitait dans ce milieu. « Pendant toutes ces annĂ©es, j’ai Ă©tĂ© embĂȘtĂ©, humiliĂ©, Ă©crit-il dans une note retrouvĂ©e sur son tĂ©lĂ©phone. Je prendrai ma revanche sur l’humanitĂ© et sur vous tous. (
) Vous m’avez privĂ© d’une vie heureuse. En retour, je vais vous priver
 de la vie. »

    Sa dĂ©rive l’a conduit, comme Louna, Ă  intĂ©grer un autre groupe de discussion sur Telegram, Atomwaffen Command, Ă©manation du groupuscule nĂ©onazi amĂ©ricain Atomwaffen Division, qui promeut l’accĂ©lĂ©rationnisme, une thĂ©orie visant Ă  prĂ©cipiter la sociĂ©tĂ© dans une guerre raciale pour faire Ă©merger un ethno-Etat blanc. EmportĂ©e par son enthousiasme, Louna avait mĂȘme rĂ©ussi Ă  choquer certains de ses membres en postant une photo de la tĂȘte dĂ©capitĂ©e de Samuel Paty, son image favorite : comme il arrive souvent lorsqu’un individu dĂ©tonne dans un groupe d’adolescents radicalisĂ©s, ces derniers l’avaient en retour soupçonnĂ©e d’ĂȘtre un agent du Mossad.

    Au fil de leurs Ă©changes, Louna confie Ă  RaphaĂ«l qu’un voisin l’a « touchĂ©e », il lui dit avoir Ă©tĂ© victime de harcĂšlement scolaire. Elle se revendique de l’EI, lui du nĂ©onazisme : tous deux se rejoignent dans leur haine des juifs, partagent des vidĂ©os ultraviolentes et Ă©voquent leur dĂ©sir de « vengeance ». Elle lui parle de ses projets d’attentat, lui s’ouvre d’un projet de tuerie scolaire qu’il envisage de commettre avec Ugo, membre Ă©galement d’Atomwaffen Command. L’attaque, dans laquelle les deux garçons projettent de mourir, est prĂ©vue pour le 20 avril 2022, date anniversaire de la tuerie de Columbine et de la naissance d’Hitler.

    Ugo, le « psychopathe »

    Ugo, un Normand de 19 ans, se dĂ©crit lui-mĂȘme comme un « psychopathe ». Lui aussi a discutĂ© de ses projets mortifĂšres avec Louna, qui lui a envoyĂ© une recette d’explosifs. MalgrĂ© leurs divergences politiques, le jeune homme ne cache pas une certaine affection pour l’apprentie kamikaze : « Elle voulait que je devienne djihadiste. J’ai de l’empathie pour elle. Elle est comme RaphaĂ«l et moi, avec peu d’amis et victime de harcĂšlement, a-t-il confiĂ© en garde à vue. Elle hĂ©sitait avec le nazisme mais elle Ă©tait plus attirĂ©e par Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique]. »

    Ugo, lui, n’est pas djihadiste. Dans sa chambre, les enquĂȘteurs ont retrouvĂ© dix-sept couteaux portant des inscriptions nazies, des livres sur le criminel amĂ©ricain Charles Manson et sur Adolf Hitler. Dyslexique depuis le primaire, il dit avoir Ă©tĂ© victime de harcĂšlement scolaire et s’ĂȘtre « radicalisé » en classe de 6e, en commençant par l’islam radical avant de verser dans le nazisme. Hitler lui aurait « ouvert les yeux » et « tendu la main » alors qu’il sombrait psychiquement. Mais selon d’anciens camarades de classe, si Ugo a eu des problĂšmes à l’école, c’est avant tout parce qu’il y tenait des propos suprĂ©macistes.

    Comme Louna, Ugo a couchĂ© ses idĂ©es noires par Ă©crit. Il a rempli pas moins de vingt cahiers de ses dĂ©lires morbides. Il y Ă©voque ses pensĂ©es suicidaires et une agression sexuelle qu’il aurait subie Ă  9 ans de la part d’un garçon du mĂȘme Ăąge. Dans un de ces carnets, intitulĂ© « Mein kampf III », il dit entendre des voix qui lui ordonnent de tuer : « J’ai diffĂ©rentes personnes dans ma tĂȘte : un croyant, un tueur (moi un nazi), un fou, un gamin immature. »

    L’expert psychiatre qui l’a rencontrĂ© Ă©voque son « sentiment constant de frustration et d’infĂ©riorité », un « trouble du registre paranoĂŻaque » Ă  l’origine d’une altĂ©ration de son discernement et juge « indispensable » une injonction de soins psychiatriques. Le jeune homme est d’ailleurs relativement lucide sur le caractĂšre hybride de sa colĂšre : « C’est personnel et aussi politique, Ă©crit-il dans un carnet. Je tue pour le nazisme et par vengeance. »

    « On va ĂȘtre sur Google »

    Avec RaphaĂ«l, Ugo dit avoir dĂ©couvert un « frĂšre d’arme », « un mot plus fort qu’ami », prĂ©cise-t-il aux enquĂȘteurs. Outre leur passion pour les armes et le nazisme, les deux adolescents partagent une mĂȘme frustration affective qui les a conduits Ă  se rapprocher d’une autre mouvance radicale, la sous-culture Incel (pour involuntary celibate, « cĂ©libataires involontaires »), qui vĂ©hicule une haine viscĂ©rale des femmes.

    Mais Ugo et RaphaĂ«l ont surtout un projet commun censĂ© matĂ©rialiser leur colĂšre, qu’ils appellent leur « Ɠuvre » : une tuerie scolaire. Ugo Ă©crit Ă  son jeune ami : « J’ai au moins dix personnes Ă  tuer dans mon lycĂ©e, puis je m’attaque Ă  une mosquĂ©e. » EmportĂ©s par leurs fantasmes, les deux garçons espĂšrent passer Ă  la postĂ©rité : « On va ĂȘtre sur Google, la une des journaux, gĂ©nial », Ă©crit RaphaĂ«l. « Nos visages sur Internet, des documentaires, rĂ©pond Ugo. Nous sommes des dieux du chaos et de la vengeance. »

    Ce sentiment de toute-puissance, Ugo le met souvent en scĂšne. En l’espace de cinq mois, il a envoyĂ© Ă  RaphaĂ«l pas moins de treize vidĂ©os de revendication de leur « Ɠuvre » Ă  venir, sur lesquelles il pose, muni de diffĂ©rentes armes : « Je vais tuer beaucoup de personnes (
) Depuis des annĂ©es, des Ă©lĂšves sont victimes de harcĂšlement (
) Quand est-ce que l’Etat va faire quelque chose ? (
) Les racailles dans leur citĂ©, on leur donne des aides sociales, ils violent les femmes, ils harcĂšlent les enfants dans les Ă©coles. (
) Bah je vais purger ! (
) Y en a comme ça qui m’ont harcelĂ© au collĂšge, ils vont en prendre plein la gueule ! Je vais leur Ă©clater le crĂąne avec un marteau et les Ă©gorger. » Devant les enquĂȘteurs, il reconnaĂźt : « Lorsque je faisais une vidĂ©o, je me faisais peur moi-mĂȘme. Je ne savais pas si c’était rĂ©el. »

    Une « adhésion ancrées à des idéologies radicales » Ces quatre adolescents en perdition étaient-ils mus par un désir de vengeance ou par leur conviction idéologique ? Louna est-elle djihadiste ou nazie ? Ugo et Raphaël fantasmaient-ils une tuerie scolaire motivée par leur sentiment de rejet ou un attentat suprémaciste ?

    Le Parquet national antiterroriste a considĂ©rĂ© que leur profil et leurs agissements Ă©taient suffisamment inquiĂ©tants pour constituer une « association de malfaiteurs terroriste ». « Si les ressorts de ces projets mortifĂšres mĂȘlaient mal-ĂȘtre et idĂ©es suicidaires, les mis en examen faisaient toutefois preuve d’une singuliĂšre dĂ©termination, de prĂ©parations intenses de leurs projets violents et fantasmaient le retentissement de leurs actions futures, dans le cadre d’adhĂ©sions ancrĂ©es Ă  des idĂ©ologies radicales violentes, djihadiste et d’ultradroite », rĂ©sument les magistrats.

    Ils demandent donc que Takeshi, RaphaĂ«l et Louna, mineurs au moment des faits, soient jugĂ©s devant le tribunal pour enfants. Si les juges d’instruction suivent ce rĂ©quisitoire, Louna pourrait ĂȘtre de nouveau jugĂ©e, aux cĂŽtĂ©s d’Ugo cette fois, devant le tribunal correctionnel pour les faits commis entre le jour de ses 18 ans et son interpellation, un mois plus tard.